Le procédé d'Aka Moon est semblable à l'habitude : celui de l'écoute mutuelle, sans esprit conquérant ou évangélisateur. C'est la musique traditionnelle qui est rencontré par le trio et non l'inverse. Ça change tout, et c'est ce qui fait que ça vit mieux que n'importe quel prêche "musique du monde". Ici, en prime, il visite les Balkans en amis; mieux, en connaisseurs intrinsèques. Okio, diantre, Okio...
Chacun est mis à contribution dans de beaux solos : Eve Beuvens tout au long de l'album et particulièrement dans ce If, Food, Love joué en solo pour clore l'album, Laurent Blondiau, notamment à la trompette bouchée sur Silly Sally, Sylvain Debaisieux au ténor (Water Games), Grégoire Tirtiaux, tantôt à l'alto (Le lettre du scribe), tantôt au baryton (Water Games) et Benjamin Sauzereau à la guitare dans de belles envolées aux sonorités irisées (Dusk, Les Roses de Saadi). Avec ce Heptatomic, après le lyrisme de "Noordzee" ou le quartet avec Michael Godée au soprano et le hard bop des Sidewinders, Eve Beuvens montre une autre facette de son talent.
Si l'on jette un coup d'oeil rapide sur le répertoire, on pourrait, de prime abord, avoir une impression d'éparpillement : aux côté de 5 compositions personnelles, l'une d'inspiration africaine (Goma) une autre d'inspiration arabe (ahel Al Muntanah); un Aria de Bach; Les Feuilles Mortes, le classique de Kosma; Letter From Home de Pat Metheny et un emprunt à Led Zeppelin, Bron-Yr-Aur de Jimmy Page. Ce serait oublier que, comme le proclame Frank Tortiller à propos de son projet "Janis the Pearl", le jazz est une musique d'appropriation : peu importe la matière de départ, ce qui compte c'est la manière dont on va la traiter, l'arranger et l'orchestrer.
La galette s’ouvre sur le bien nommé « Still » dont la mélodie vous reste directement dans l’oreille. « Bartok Violin Concerto » reprend le thème d’ouverture du premier concerto du compositeur hongrois et l’atmosphère intimiste se poursuit sur une improvisation de Brice Soniano en ouverture de « Flying Circles », alors qu’une note plus impressionniste et un touchant solo de Christian Mendoza clôture l’album avec « Cycling » et ses accents de Satie .
Expert dans l’art du trio, qu’il a observé et expérimenté dans toutes les directions possibles, même les plus audacieuses, le pianiste allemand Hans Lüdemann revient au solo ; c’est sa seconde obsession, tout aussi débordante. Pour lui, l’exercice solitaire lui permet de soulever de nombreuses questions à travers ses improvisations. Seul avec son piano, agrémenté de son habituel « clavier virtuel », c’est à dire des petits synthétiseurs où son piano est samplé, il sonde la microtonalité inédite de son instrument.
Une chose est sûre, on est toujours comblé par un album d'Henri Texier : beauté lumineuse des mélodies, châtoyance des rythmes au service d'une large palette sonore, avec des musiciens faisant preuve d'une réelle complicité empathique. Bref, voilà un des albums les plus enthousiasmants de ces derniers mois. Le lancement de l'album est fixé au 13 février, au Café de la Danse à Paris. Par ailleurs, Henri Texier fêtera les 30 ans d'existence de Label Bleu, à la Maison de la Culture d'Amiens, le 3 mars prochain, au travers d'une carte blanche qui lui permettra de retrouver tout un panel de vieux complices et, le 4 mars, avec son Sky Dancers Sextet. Le 6 mai, il se produira ensuite au festival "Sous les Pommiers" de Coutances.
Il poursuit aussi des stages avec l'Américain Kenny Werner, le Britannique John Taylor et l'Italien Stefano Battaglia. Il passe un an à Leipzig, sous la direction de Richie Beirach et termine ses études à Bruxelles, en 2012, en compagnie de Nathalie Loriers et, en 2013, il remportera le Toots Thielemans Award. Invité sur l'album Urbex d'Antoine Pierre (batterie), il lui arrive aussi de remplacer Bram De Looze dans cet octet et il fait aussi partie du quintet de Lorenzo di Maio (guitare), avec Jean-Paul Estiévenart (trompette) et Teun Verbruggen (batterie).
Le voici de retour chez Igloo pour ce trio "Free Three". A la basse Nicolas Thys, le bassiste de Taxi Wars, de la chanteuse Tutu Puoane, du trio de Kris Defoort, du quintet d'Yves Peeters et de Nicolas Kummert, du quartet de Robin Verheyen avec Bill Carrothers. A la batterie et discrets effets électroniques, Teun Verbruggen, aussi à l'aise en piano trio avec Jef Neve ou Igor Gehenot qu' en grand orchestre avec le Flat Earth Society ou le Vansina Orchestra, ou avec GOWK et Othin Spake. Pour ce "Free Three", 17 compositions originales, de 1 minute 14 à 6 minutes 33,
Le répertoire original de cet album est inspiré par les récents voyages du saxophoniste flamand au Sénégal et au Cap-Vert mais aussi par la passion que celui-ci voue à l'oeuvre d'Olivier Messiaen: comme Robin le présente lui-même dans le livret, "un projet multiculturel" mêlant le langage de Messiaen, la musique traditionnelle d'Afrique de l'Ouest et la scène jazz actuelle de New-York, une musique dans laquelle "l'harmonie devient aussi importante que le rythme".
L’intérêt du présent album dépasse largement le côté « archive » dont on pourrait l’affubler, mais permet de pénétrer dans le ventre d’une musique en gestation qui allait donner naissance au plus beau bébé du jazz belge du dernier quart de siècle. Et pour cela, on ne peut que remercier le travail de ceux qui ont permis la sortie de « NASA NA Live 91 ».
Dans le dossier de presse de l'album, Lorenzo Di Maio se dit inspiré par des musiciens américains comme Brian Blade et son groupe The Fellowship ou Aaron Parks. Un point commun entre le batteur louisianais et le pianiste de Seattle : ils ont joué avec Kurt Rosenwinkel, l'un des guitaristes phares actuels, connu par son jeu qui met en évidence ses lignes mélodiques, au travers de phrases simples et lyriques. Une caractéristique que l'on retrouve dans les neuf compositions écrites par Lorenzo Di Maio : écoutez ses envolées dans les solos (No Other Way, Lomesome Traveler), ses intros lyriques (Black Rainbow, Inner Peace), avec parfois une sonorité plus rock (Open D).
Après deux albums enregistrés avec le pianiste britannique Matthew Bourne en invité (Un matin plein de promesse, Hold the Line), Trio Grande revient à son format de base, une manière de resserrer le propos, ou comment se renouveler sans rien perdre de son authentique originalité. C'est-à-dire? Un polyinstrumentisme débridé et festif: trombone, euphonium et sousaphone pour Michel Massot; clarinettes (notamment basse et contrebasse), saxophones soprano et ténor, guimbarde, harmonica et glockenspiel pour Laurent Dehors; batterie, grosse caisse de Binche et percussion pour Michel Debrulle.
Au répertoire, 11 compositions originales, dont trois courts titres improvisés (Quadruplets, Fenêtre et Café Yuka avec chant d’oiseau), une d’Antoine Pierre (Lost End) et ce Miyako que Wayne Shorter a composé pour l’album Schizophrenia. Une belle alternance entre lyrisme mélodique gorgé d’émotion (Simple Mind, MOA, Miyako, Deep Heart avec trompette bouchée) et tempo enlevé, volontiers avec motifs obsessionnels (Blade Runner, Behind In The Darkness avec sonorité de trompette dédoublée), ou encore une référence davantage bop : Asphalt, avec, au ténor, Steven Delannoye que Jean-Paul a croisé au sein de LG Jazz Collective, Urbex ou dans un récent quartet avec Bert Cools.
Par rapport aux précédents albums, un changement:pour apporter de nouvelles couleurs à l'orchestre, la présence du guitariste Hendrik Braekman, un fidèle du BJO (Guided Dream avec Dave Liebman, A different Porgy and another Bess avec David Linx et Maria Joao). Ecoutez notamment ses solos sur Brussel-Parijs et Mr Dado.
Le pianiste du Lab Trio et d’Urbex, l’octet d’Antoine Pierre, se lance ici dans l’exercice sans filet du solo, mais pas sur n’importe quel instrument, sur de véritables pièces de collection réunies par Chris Maene : un pianoforte de 1795 signé Anton Walter, un Erard de 1836 (Sébastien Erard, auquel a succédé son neveu Pierre, est présenté comme le facteur d’instruments qui a permis le passage du forte au piano) et un Pleyel Concert Grand Replica de 1843.
Pour fêter ses 35 ans, quoi de mieux, pour Michel Debrulle et ses multiples complices, que de sortir un album anthologie : non pas un « best of » reprenant une série de titres déjà enregistrés, mais une nouvelle création, avec un orchestre de 12 musiciens issus notamment de Trio Grande, Rêve d’Eléphant Orchestra ou Silver Rat Band et 4 vocalistes : Thierry Devillers de Tout est joli, David Hernandez présent, avec Devillers, sur le projet Odyssée 14 de Rêve d’Eléphant, Adrien Sezuba du Silver Rat Band et François Laurent, l’Ami Terrien.
Avec le Wurlitzer et le trombone de Phil Abraham, la musique prend des allures de hard bop (Cache=Cash et Ragga avec un beau chase ténor/trombone). Sal La Rocca sait varier les climats. Lui qui cite volontiers Paul Chambers, Ray Brown ou Scott La Faro comme références, il a su saisir le meilleur de chacun pour en faire son propre miel. Témoignent de l’engouement des milieux jazz, 5 dates du JazzLab en Flandre le mois de novembre et 8 du côté francophone pour le JazzTour en janvier.
MIxMonk : La musique de Monk, de par son art de la dissonance, tient une place à part dans l'histoire du jazz. Elle a été jouée/adaptée par une foule de musiciens : des pianistes bien sûr, comme Ran Blake, Don Pullen ou Misha Mengelberg, mais aussi d'autres instrumentistes, comme Steve Lacy, Paul Motian, Benny Wallace...Voici donc un nouvel hommage au génial pianiste et compositeur : un trio belgo-américain.
Chaque composition est l’occasion de beaux échanges entre le bugle à la sonorité suave ou la trompette bouchée limpide de Bert Joris, le ténor incisif de Paul Heller (Modules, The Right Choices ?), la guitare à la sonorité lumineuse de Peter Hertmans (Unexpected Encounters) et le piano lyrique de Nathalie Loriers (belle intro en dialogue avec la contrebasse sur Pages And Chapters et The Positive Side ou avec les cordes sur Chemistry And Mystery et String Positive). Michel Herr dirige ses cordes avec subtilité...
Les compositions se développent en séquences successives : sur Bumper Spacecraft, l’intro de trombone débouche sur un passage réservé aux autres cuivres, suivent des séquences piano/orchestre et trompette/orchestre. Même chose pour Discrétion illuminant la noire nuée, une intro de ténor/piano débouche sur des phases orchestrales mouvementées. Les alliances sonores se succèdent clarinette basse/tuba sur Eclat, baryton/clarinette basse sur Guyane, alto/flûte sur Zgru’n.
Des thèmes vifs, aux accents post bop, avec un bel unisson trompette-alto (Henri) et un alto volubile et tranchant, sur un ostinato de contrebasse (La Caseta). De belles ballades aussi, portées par la trompette, avec solo de contrebasse et piano (Con pasión), belle intro de piano sur fond délicat de balais (Strange Bird) ou avec la sonoirté ouatée d'une trompette bouchée (Inès11). Bert's sketch peut se lire comme un hommage à Bert Joris, avec une sonorité de trompette tout en rondeur et Sshhh!!! est une pièce plus libre, plus ouverte à l'improvisation, avec trompette et alto incisif sur fond bouillonnant de cymbales.
Le contrebassiste Yves Rousseau a de l’attrait pour les mots. Beaucoup se souviennent de Poète, vos papiers !, il y a dix ans maintenant, tant ce disque fut fondateur. Avec un orchestre de fidèles et deux chanteuses appelées à des carrières majeures (Claudia Solal et une jeune Jeanne Added époustouflante), il avait mis en musique Léo Ferré en faisant fi des antiennes. Avec l’Archimusic de Jean-Remy Guédon, autre fondu de littérature, on a pu le voir approcher Sade et même Nietzsche. Musicien sensible, attentif aux éléments, il lui fallait creuser loin dans l’intime avec un écrivain peut-être moins en vue, bien qu’académicien, mais qui sonde des atomes et des sensations charnelles qui lui sont chers et parfois impalpables ; du pied à la pierre, voici donc Murmures, inspiré des textes de François Cheng dans lesquels Yves Rousseau se jette à cœur perdu avec la douceur qui le caractérise. Ainsi le bien nommé « Caresses », poème issu du recueil Double Chant paru il y a vingt ans, où il construit avec la clarinette basse de Thomas Savy un doux écrin pour la voix d’Anne Le Goff. L’équipe autour de Rousseau a changé : on ne trouve pas ses vieux complices Jean-Marc Larché et Régis Huby, même si ce dernier publie le disque sur le label Abalone. Comme pour habiller au mieux les mots de Cheng, il s’entoure d’un quartet très chambriste et porté sur les basses, ce qui colore de nuit certains morceaux, à commencer par « Enigmes » où d’un solo de contrebasse volontaire mais sans agressivité, il lance une discussion avec le guitariste Pierrick Hardy, remarquable régulateur d’ambiance que l’on avait pu entendre dans Jusqu’au Dernier Souffle, le spectacle de Catherine Delaunay sur la Première Guerre Mondiale. « De la terre mortelle, que pourrais-tu craindre ? » nous rassure Le Goff. Si la nuit règne sur Murmures, elle est quiète et accueillante. Elle a su contourner l’automne, « résolus à ne plus mourir de nostalgie ». Elle est bardé de mille nuances qui s’échappent des graves unissons soulignés par le zarb de Keyvan Chemirani, comme un soupçon d’Orient. Le soleil se lève à l’Est. Rencontre de formidables mélodistes, Murmures est surtout marqué par la découverte d’Anne Le Goff. La chanteuse est connue pour ses aventures classiques, notamment au sein du chœur Mikrokosmos avec qui Yves Rousseau travaille. Voix tannique et pleine, plus proche dans sa tessiture de Clotilde Rullaud que des habituelles mezzo-soprano qui investissent ce type de projets, elle apporte à ce disque et aux textes du poète une dimension moins évanescente sans cependant y ajouter du poids. Sur « Pierre à encre », en toute fin d’album, elle entame un pas de deux avec la clarinette basse de Savy, tel les poumons de ce quartet. La suavité qui en résulte a la chaleur rassurante du velours qui se lustre parfois au contact des pulsations de Chemirani. Murmures est un disque qui s’écoute et se savoure avec le temps, qui abandonne ses sédiments dans la mémoire, qui émeut à chaque mot parfois, comme pour mieux laisser la parole à Cheng : « Accéder au chant par le plus pur silence ». La voi(e)(x) nous est ouverte.